Las, le chant-amour de la mort s'endort (Mégalomanie)
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23/07/1993 - 23/09/1993

Je vous avais pourtant prévenus que ce serait en pressant le kyste cancéreux de ma haine que j'arriverais à faire parvenir jusqu'à vos oreilles ingrates, l'eau claire et parsemée de reflets d'argent des mots les plus beaux que vous ayez eu l'occasion, sinon la chance suprême, délicieuse et séraphique, d'entendre.

Que ceux qui me trouvent ignoble et odieux creusent leur tombe et s'y allongent, les yeux tournés vers le Ciel; car c'est depuis le firmament mélancolique des nuages que je leur ferai goûter au fer rouge et brûlant de ma vengeance.

L'ode musicale que vous allez dès à présent écouter, n'est pas un requiem, ne vous y trompez pas ! bien que mon chant ait la majesté, la puissance et le charme d'une oraison funéraire. Car là où s'endort le chant-amour de la mort, las d'avoir trop crié ses vers, pour finalement retomber sous la pierre froide bercer le défunt destinataire de sa musique, là s'éveille et croît ma chanson jusqu'à assourdir l'ouïe des archanges du Mal.

Et mon chant vous hypnotisera. Car bien que vous le haïssiez sans limites, vous poursuivrez votre écoute jusqu'à ce que vous parveniez à l'interpréter vous-mêmes. Pourquoi ? Parce que par ce chant, si grande et inassouvissable que soit votre haine, son immensité n'atteindra jamais le seuil, ni même les esquisses, des musicales notes qui en furent l'origine. Sachez que jamais vous n'arriverez à surpasser de votre propre dégoût, l'aversion écoeurant que j'ai à votre égard.

Il est encore temps pour vous d'obstruer le portail de votre ouïe. Tournez cette page et il sera déjà trop tard. Vous serez pris dans le tourbillon infernal (réfléchissez bien au ses de ce qualificatif) de mon chant haineux et vert du fardeau énormément alourdissant du rejet total et sans rémission de votre race entière.

Car vous qui me lisez et goûtez au parfum de mes mots sulfureux, sachez, vous qui vous croyez seul et protégé derrière votre barricade de papier, que vous ne représentez qu'une infime partie de ma révolte de dégoût. Sachez qu'en poursuivant votre lecture, vous ne faites qu'amplifier l'écho intolérable du dessein que je viens de vous exposer.

23/07/93 - 23/09/93

Regardez, osez ne pas détourner votre regard falsifié de cette plaie. La reconnaisez-vous ? Non bien sûr. Pourtant elle est vôtre. Vous en êtes à la fois le criminel auteur et la pitoyable victime.

Levez vos yeux assassins et soyez heureux que ma fureur vengeresse vous permette encore de conserver ce précieux sens qu'est la vue.

Pourtant rien ne m'oblige à ne pas enfoncer dans vos orbites affamés le dard du scorpion que ma plaie saignante a enfanté. Rien, si ce n'est l'insatisfaction de ne crever que deux de vos yeux alors que votre peau lépreuse en compte des millions.

Mais voilà déjà que ma haine pleure de venimeuses mygales supportant sur leurs épaules arachnides les puissants bazookas qui devront mettre fin tôt ou tard à votre si peu précieuse vie. Il me faut retenir ces larmes fatales si je veux rester fidèle, comme une guêpe peut l'être envers les étamines nutritive de la rose, à ma volonté de prolonger, jusqu'aux confins de l'insupportable, votre agonie, dont votre mort, soyez-en sûrs, ne pourra être que salvatrice.

Alors contemplez plutôt une fois encore cette plaie qui chaque matin s'entrouvre un peu plus, laissant le soleil la brûler davantage. Contrairement à l'ordre naturel, que vous croyiez Tout Puissant, ou que vous vous plaisiez à y croire, lorsque vient le crépuscule, cher aux loups assoiffés par une journée entière de jeûne, cette plaie ne se referme pas. Non, elle laisse à son tour la lune la pénétrer, s'offrant ainsi aux deux astres qui ont assurément interdit sa guérison.

Vous savez parfaitement que la Plaie ne s'ouvre avec béatitude, non pas pour sourire (elle ignore jusqu'au sens originel de ce verbe), mais pour hurler sa douleur. Qu'ainsi, même si vous ignorez sa présence en tournant votre dédaigneux regard, vous ne puissiez échapper à la clameur déchirante de son existence.

Vous avez creusé la Plaie en y enfonçant vos ongles aiguisés; la Plaie vous répond en perçant le silence de votre culpabilité d'un cri plus tranchant que la lame affûtée de la tempête. Souffrez de sa souffrance et courbez de honte votre coupable visage.

23/07/93 - 23/09/93

Mais je m'aperçois que je n'ai déjà que trop chanté la faille qui déchire la chair de mon corps désertique. Vous risqueriez de croire que je ne suis pas (le mot est juste) infaillible ! Détrompez-vous, présomptueux agneaux incrédules : je le suis. Et au contraire, rien ne peut plus désormais fendre les muscles de mon coeur inassiégeable.

Car j'ai su, tout au long de ces années de dociles et silencieuses souffrances, greffer au plus profond de moi-même une carapace faite de l'acier le plus résistant qu'il soit. Et c'est bien vous, et personne d'autre, pitoyables guerriers titubant sur le chemin du combat, oui c'est vous qui êtes l'origine et la cause de ce bouclier dont j'ai prématurément accouché.

Bombardé comme je le fus par vos lances, visant toujours plus précisément l'endroit où je tentais de conserver un semblant de survie face à vos attaques, il est certain que je ne vous ai jamais adressé nul reproche, ni même l'ombre du fantôme d'une lâche plainte. Si votre intelligence avait pu égaler l'intensité de votre cruauté, il aurait été facile de vous douter que mon silence patient cachait un danger plus féroce encore que si le Créateur lui-même avait décidé de vous châtier en déclenchant les sept prédictions de l'apocalypse.

Car, vous le comprenez maintenant, mais il est déjà trop tard, l'heure de ma vengeance dévastatrice est venue. Il ne vous servira à rien de fuir, car même si vous réussissiez à atteindre, ce qui est à dix mille pieds au-dessus de vos pauvres capacités, la rapidité sans égale de la vipère menacée, le glaive de ma vengeance parviendrait malgré tout à vous toucher.

Et s'il est une infériorité que j'admets concéder au Tout Puissant, ce ne peut être que mon impossibilité à vous prendre en pitié. Je connais votre infériorité, plus indiscutable encore, face à la force de mon couperet rectificateur. Que cela ne vous empêche pas de poursuivre mon chant accusateur qui continuera à vous assaillir, laissant sur votre peau tuberculeuse, la marque indélébile de mon céleste courroux.

23/07/93 - 23/09/93

Quelle était belle cette adolescente à la peau découpée dans les tissus les plus raffinés et aux yeux encore étonnés d'avoir vu tant de beauté dans le miroir. On aurait dit un petit animal sauvage effarouché et certain de ne pas être à sa place dans ce zoo qui ne lui offrait comme horizon que l'âpre robustesse des barreaux de sa cage.

Elle devait s'évader de sa prison. Il ne pouvait pas en être autrement. Quand bien même le Ciel n'était pas encore assez grand pour accueillir sa beauté et l'Univers trop étroit pour contenir les vapeurs émanant de la pureté de son visage et de son coeur.

Et moi j'ai été assez stupide pour lui ouvrir les portes de sa geôle, en dérobant au péril de ma vie les clés tant désirées qui devaient lui apprendre que l'alphabet se résumait aux sept lettres du mot liberté.

Je ne me rendais pas compte de ma stupidité. Comment l'aurais-je fait ? Puisque je jouissais alors du plus parfait bonheur : la fille la plus parfaite de cette Terre, planète la plus parfaite du Système Solaire, daignait croiser ses doigts si doux avec mon humble main.

Peut-être croyez-vous que je devrais vous remercier pour ce cadeau de votre Providence sacrée ? Ne prononcez plus jamais devant ma colère ce verbe qui m'est maintenant étranger. Je ne peux plus remercier personne.

Car après m'être docilement habitué à votre laideur quotidienne, jusqu'au point d'ignorer que quelque chose d'autre, de différent, de meilleur (mais je ne savais pas alors ce que "meilleur" signifiait) pouvait exister; après ceci vous avez brandi devant mes yeux, aussi émerveillés que ceux d'un nouveau né, cette créature merveilleuse parmi les merveilles, angélique parmi les anges.

Quel était votre but ? Et surtout en quoi toute cette illusion pouvait vous servir si c'était pour la faire évanouir ensuite ? On ne tend pas un sucre à un chien affamé pour l'avaler soi-même lorsqu'il s'apprête à prendre ce cadeau. Ou alors on ne s'étonne pas que l'animal devienne enragé et cherche à vous saigner de sa morsure fatale.

23/07/93 - 23/09/93

Je sais que vous persistez à vous emmitoufler dans votre manteau de suspicion pour vous protéger de l'attaque des intempéries, des flocons de neige, des rayons de soleil, des gouttes de pluie, des murmures du vent, de la fourche des éclairs, des ululements des lunes et du mécontentement de votre Dieu mégalomane.

Je sais que la méfiance est votre nation, que le doute est votre drapeau et que jamais vous ne chanterez l'hymne apaisant de la confiance.

Je sais que tant que vos yeux, lorsque vous êtes sobre cela va sans dire, n'auront pas constaté la dualité lunaire, vous resterez persuadés de contempler chaque soir la même lune, identique, fidèle et immuable.

Je sais qu'en ce moment même, et malgré les menaces et les mises en garde que je n'arrête pas de semer dans votre champ oculaire et auditif, je sais que vous riez de ces graines que j'ai pourtant pris la peine de planter, et ceci uniquement pour que puisse fleurir votre compréhensible infantile. Mais il vous en faudrait plus : vous voudriez que je vienne chaque heure arroser mes semences. Vous souhaiteriez me rabaisser à l'état de jardinier pour que constamment j'entretienne vos cultures qui indubitablement, à la lumière de votre sombre suspicion abjecte, ne donneront jamais aucun fruit.

Écoutez donc maintenant ! Si jardinier je suis, ce ne peut être qu'au même titre que Celui qui a fait fleurir l'Éden, le Créateur de ce jardin paradisiaque qu'il vous presse d'atteindre au seuil de votre mort. C'est Lui qu'il faudrait invoquer, pour que le printemps souffle de nouveau sur vos vergers.

Et quand bien même Il viendrait vous porter secours (mais réfléchissez bien : l'a-t-il déjà fait une seule fois ?), je me tiendrais là, au milieu de Son chemin, Le défiant de continuer Sa route. Et croyez bien que jamais je n'ai perdu mon combat contre cet Hypocrite Païen Blasphémateur.

Aussi prenez garde à ma prochaine strophe. La preuve que je vous y donne pour justifier la toute puissance que vous me contestez, cette preuve aura le volume sonore d'un train qui foncerait avec cahots sur des rails où vos oreilles seraient enchaînées.

23/07/93 - 23/09/93

Le bonheur, sous quelque forme qu'il, a été depuis longtemps banni des portes de mon coeur, déjà bien trop lourd de haine et de désir vengeur de puissance pour accepter le moindre sourire ou la moindre joie, ou encore la seule idée que ma langue natale, ma langue fourchue crachant le feu, ait encore de tels mots à son vocabulaire

Aussi, mon étonnement s'est immédiatement déclenché lorsque je vis ce jeune homme, à la chevelure éclatante, au visage fin et sûr de lui et surtout avec cet insupportable étirement des lèvres qui montrait en toute impudeur la blancheur virginale de ses dents : avec ce sourire étincelant prouvant à qui voulait le regarder que sans hésitation, sans même l'ombre obscure du spectre invisible du doute, qu'on ne pouvait dans cet instant le qualifier d'autre attribut que celui d'être immensément heureux. Il eût été beau dans d'autres occasions, mais ici sa beauté était éclipsée par son bonheur, comme le sinistre aspect glacial des macchabées masque leur potentielle laideur.

À mes interrogations non dénuées de sarcasme, il répondit sans même oser se soulager en laissant son manteau de bonheur au vestiaire :

"Je ne suis qu'à l'aube de ma vie et déjà l'Être Suprême ne présente à mes yeux que le spectacle splendide d'un soleil levant. Les oiseaux s'éveillent au mélodieux son de mes pas pour entamer avec fierté les plus merveilleuses de leurs chansons de joie. Les fleurs vont même jusqu'à s'ouvrir à mon passage et se referment dès que je les quitte pour qu'aucun autre que moi ne les voie nues dans leur beauté.

Je n'ai pas encore l'âge qui me donnent cette allure tourmentée que visiblement tu ne connais que trop. Et pourtant, je suis à la fois aimé et redouté de tous, du fragile enfant qui vient d'émerger de sa piscine vaginale au courageux guerrier qui a terrassé tant de dragons. Car je te le dis sans craintes : je suis Poète. Et mes mots anesthésient de leur puissante et belle musique toutes les armes qui pourraient se lever contre moi. J'entonne des vers de triomphe devant Dieu et calme d'une douce berceuse l'Esprit Malin. Car je suis Poète..."

23/07/93 - 23/09/93

... Il ne m'a pas paru nécessaire de vous rapporter plus encore les paroles de cet adolescent prétentieux, il ne faisait de toute façon qu'enrober de paroles de satin sa dernière affirmation : il était Poète et le reste n'était que poussière d'étoile !

Pourtant sa prétendue puissance ne m'effrayait point. Au contraire j'aurais ri du triste sort que j'allais infliger à cet outrageux paon si je ne m'étais pas tranché depuis des siècles déjà mes sanguines lèvres d'une lame de rasoir afin de ne plus jamais tenter même d'esquisser un sourire. Et ma réponse fatale transformera son pouvoir de géant en impuissance d'eunuque :

"Ô toi qui sembles avoir fait l'amour avec la séraphique lyre d'Érato ! Ô toi en qui semblent couler tous les majestueux alexandrins qui serpentent entre les récifs des six océans depuis l'aurore bénie où le Créateur signa de Sa plume d'or notre planète où tu sembles régner en prince ! Ô pauvre et stupide oiselet, je tremble en effet devant les arpèges que tu viens de me réciter ! Je frissonne à la seule pensée de ton avenir qui s'est d'ores et déjà retourné pour se glisser derrière ton dos !

Quel misérable et infortuné embryon es-tu, toi qui n'as pas eu le bonheur inestimable, ni la chance infinie de me rencontrer plus t, avant que les larves de tes propres paroles puissent s'écouler comme elles viennent de le faire ! Quelle erreur as-tu faite de ne pas avoir su dompter les seize vents qui auraient pu pousser ton destin jusqu'à mon jugement avant que celui-ci ne fût le dernier !

Car tu n'es pont poète, non ! Depuis que tu as eu l'affront de t'affirmer ainsi, la laideur de cette assertion t'a à jamais privé de sa concrétisation. Quoi de moins poétique que celui qui se vante de l'être ? Et toi, tu n'as jamais fait qu'essayer de tenter d'esquisser les ébauches du seul vers sorti de ta bouche putride, le seul qui aurait pu oser prétendre s'avancer à tâtons vers l'ombre du reflet d'une modeste poésie."

À ces mots encore résonnant de vérité, celui qui s'imaginait abriter en son corps l'infinie combinaison de lettres qu'il sera jamais possible de chanter, à ces mots dont il avait toujours ignoré le sens, le jeune homme se donna la mort puisque c'était là le seul cadeau qu'il puisse accepter recevoir de sa propre personne qui n'était déjà plus qu'une moisissure de charogne.

23/07/93 - 23/09/93

Peut-être ne tremblez-vous pas encore après avoir été contraints d'écouter l'introduction de mon chant. Peut-être même que vous doutez d'avoir l'ouïe rassasiée de si peu de volupté musicales. Peut-être encore que vous n'avez même pas entendu la plainte du blond puceau de ma dernière strophe qui vient juste de s'émasculer avant de faire jaillir d'un seul coup son sang, mais d'un coup si sec et tranchant que son aorte ainsi sectionnée faisait jaillir ses globules vermeils de telle sorte qu'en ouvrant sa bouche pour clamer sa douleur, il but tout le sang qu'il versait. Et ce sang, tant de fois éjecté puis régurgité arrivait encore à prolonger durant des secondes aussi cruelles qu'interminables l'agonie de l'ange déchu, perdu sans son auréole.

Pourtant je n'en suis qu'à la Genèse de mon chant mortuaire. Tout reste encore à venir, ou plutôt à disparaître. Mais vous ne pouvez plus maintenant échapper aux gammes assourdissantes qui vont dès lors se déverser comme un torrent que même les plus solides rochers n'arrivent à stopper dans un écumage infernal (réfléchissez bien au sens de ce mot).

Maldoror était un monstre de bonté comparé à l'ombre hideuse qui obscurcit mes desseins apocalyptiques. Et la damnation de Faust n'est tout au pire qu'une bénédiction face à l'impitoyable destin dans lequel mes strophes sataniques (... !) vous poussent.. de plus en plus... comme un corsaire menaçant de son sabre le condamné sur sa planche qui ne peut plus prétendre à rien sauf à devenir un aggloméra charnel de sacrifice pour de féroces requins.

Certes je suis arrivé à mesurer la solitude incommensurable des âmes de la Poésie. Mais désormais je ne suis plus seul dans mon combat contre votre espèce entière : déjà mon ombre ne me trahit plus, elle est le témoin de tous mes actes sanctifiaires. Et lorsque la mémoire me manque pour vous narrer ma chanson, c'est elle, ma fidèle et richissime compagne noire, qui m'en rappelle les couplets.

Mais je l'ai déjà dit, vous n'avez assisté jusqu'à maintenant qu'à la Genèse enscoliosée de mon impitoyable génocide sans rémission.

N'en doutez point. Écoutez pour vous rassurer, cette plainte que le héros de ma précédente strophe n'a eu que trop le temps de clamer. ET son écho résonne encore dans le labyrinthe miroitant de mon chant-amour.

23/07/93 - 23/09/93

Que voulez-vous que je fasse avec cette créature que l'on dit si merveilleuse, si empreinte de sublime magnificence; on affirme que le Créateur l'a Lui-même enfantée pour montrer à l'espèce humaine Sa divine beauté; que voulez-vous que je fasse de celui de qui l'on prétend la possession des suprêmes pouvoirs, censés ne perdre aucun combat dans aucune guerre, même celle qui vit la colombe mourir en son sein; que voulez-vous que je fasse avec cet être inspiré de l'image des anges et que l'on nomme Amour ?

Il doit être banni ! Exclu de vos conversations et de vos pensées ! De quelque sorte qu'il soit, l'Amour ne peut plus exister dans un monde où j'ai décidé de chanter ma haine de l'entière race humaine et où mes refrains résonnent jusque dans le coeur des volcans et l'âme des océans.

Chassez de votre stupide conscience la seule idée que l'Amour triomphe de tout. Car jamais, non jamais, je le jure devant le reflet transparent que visionne mon miroir chaque matin, jamais je ne céderai aucune victoire à qui que ce soit.

Et encore moins à celui qui persistait à tenir fermée sa porte lorsque j'y tambourinais après l'avoir cherché, poursuivi, traqué, perdu, espéré et enfin repéré. Celui-ci doit mourir aussi prestement qu'il a su disparaître de mon coeur carnivore. Car en moi vit aujourd'hui son ennemi le plus puissant, celui qui comble la place qu'il n'a voulu prendre, celui qui s'étend sur le hamac que j'ai dû dresser entre la vengeance et le dégoût : la Haine.

Mais savez-vous seulement ce qu'est haïr ? Imaginez plutôt les plus brûlantes passions, celles de Roméo, de Carmen, de Chick; imaginez les plus parfaites incarnations de l'Amour, puis n'oubliez pas les déchirures, les cicatrices, la Plaie et les morts que ce même Amour a pu engendrer. Maintenant retournez la passion, changez l'élan des coeurs contre le jet sifflant des canons, imaginez la colombe devenue serpent. Ainsi vous pourrez, quoique cela fût impensable et inconcevable pour vos pauvres esprits si humains, évaluer le désastre que peut causer un démon, là où un ange déjà laissait un paysage ravagé de désolation.

L'Amour sera vaincu par ma Haine et mis à mort par le cataclysme de mon chant.

23/07/93 - 23/09/93

Inconscient couple d'amoureux ! Si beaux qu'on en oublierait leur laideur ! Aux baisers si heureux qu'on ne pense plus à leur tristesse ! Ils se dirigeaient, la main dans la main, vers les routes fleuries de l'avenir, on en oublierait qu'ils sont si désespérés.

Soudain, le garçon ralentit, il fait signe à la fille de rester en arrière pour ne pas s'exposer au danger qui vient de s'interposer sur leur chemin. Car un serpent s'est dressé devant eux, que dis-je un serpent ? un amas de serpents, un nid entier, des dizaines et des dizaines de têtes trapézoïdales et reptiliennes sifflent aux oreilles de ces pauvres amoureux.

Mais il y a bien un essaim de langues fourchues et de crocs affamés, pourtant l'animal hideux ne possède qu'un corps et une unique queue. Quel est ce monstre vous demandez-vous ? D'où sort cette bête difforme et inquiétante ?

Je vous avais pourtant dit que vous ne saviez point ce qu'était la Haine.

Déjà l'homme sort un long couteau à la lame aussi froide et tranchante qu'un sabre de corsaire et il gesticule en balançant la pointe de son arme dans tous les sens; et il tranche ainsi le souffle des seize vents et parvient à couper de-ci de-là quelques têtes de serpents.

Mais dès qu'une tête tombe et s'écrase sur le sol poussiéreux, elle engendre spontanément un nouveau monstre avec un corps, une queue et deux fois plus de longs cous qu'en comptait l'autre bête décapitée.

L'homme disparaît bientôt sous des centaines de reptiles siffleurs qui recouvrent son squelette et l'étouffent de plus en plus et le mordent sur tout son corps d'humain. Et chaque muscle ainsi mordu prend la couleur violacée d'un pénis en érection puis devient aussi noir que l'obscur horizon cosmique avant de s'effilocher et tomber en poussière.

Ainsi gangrené le garçon perd tour à tour un pied, sa verge, un bras, son nez et son oeil gauche.

L'Amour est vaincu, me direz-vous. Non car malgré cet amant réduit à l'état de cendres, sa compagne est encore en vie. Et Dieu sait qu'un Amour ne décède pas lorsque la mort sépare les amants.

23/07/93 - 23/09/93

La pauvre fille est restée paralysée devant le spectacle horrible. Et lorsque son compagnon n'est plus qu'un tas arénacé, les milliers de reptiles se rassemblent, forment un noeud gluant, puis jaillit de cet emmêlement dégoûtant un gorille crasseux, boueux et mal rasé.

Aussitôt le singe se jette sur la veuve et transperce ses habits de son robuste et long pénis. Et il s'acharne à faire jouir l'adolescente. Mais celle-ci crie, hurle et gueule de souffrance, tandis que le sexe du gorille déchire la membrane de son utérus encore trop étroit.

Et dès que le phallus baigne dans l'océan vaginal, l'animal se change instantanément en un flot d'anguilles et de piranhas.

La martyre torturée gémit de plus en plus fort. Lucifer a dû se réjouir quand ses hurlement atteignirent le centre bouillant de son Enfer magmatique. Il faut avouer que la pauvre amante subit maintenant les déchargés électriques des gymnotes qui lancent dans ses fibres nerveuses des courants d'électrons, dont la seule puissance parviendrait à fournir assez d'éclairage pour illuminer les lampadaires des neufs continents. Et les piranhas commencent à dévorer chacun de ses organes, si bien que lorsqu'un poisson montre le bout de ses dents à travers la bouche de la jeune fille, le cri de cette dernière se résout enfin à se taire, réduit au silence par l'ablation des cordes vocales de cette femme désormais possédée par un million de démons animaux.

Quand elle n'eut plus d'autre organe que son pauvre coeur d'ancienne amoureuse, les anguilles, les piranhas, les orvets et les lombrics disparurent. Et c'est à ce moment que j'apparus, me tenant droit devant le corps à l'agonie.

Ma haine était apaisée et je jouissais du spectacle cauchemardesque que j'avais moi-même mis en scène. Et l'on m'a raconté que quelqu'un trouva la fille quelques jours après cette scène démoniaque et que la pauvre ne fut soulagée de son incroyable douleur que bien plus tard, lorsque son coeur sut enfin trouver l'autoroute de la mort dans une chambre blanche d'hôpital.

23/07/93 - 23/09/93

Je ne suis pas cruel... Du moins, pas plus que la vie ne peut l'être. Et au pire, tout autant que la rose qui sort ses aiguilles épineuses pour coudre son blason sur votre poitrine de tuberculeux.

Ma soif de vengeance ne prend sa source que dans l'assèchement de mon coeur, dont vous êtes les premiers responsables. Vous qui vous escrimez à me faire goûter la pointe de vos épées honteuses et paranoïaques.

Me suis-je plaint ? Avez-vous alors seulement entendu ma voix s'élever plus haut que le linceul avec lequel vous l'étouffiez ?

Et maintenant que je vous chante ce que peut être la Haine lorsqu'elle a dormi pendant trois siècles sans jamais oser se réveiller ne serait-ce qu'un instant pour échapper une toute petite seconde au cauchemar sanguinolent qui la retenait dans ses bras couverts de pustules, maintenant c'est vous qui me montrez du doigt en vous indignant de ma cruauté !

Vous ressemblez à ces vieillards aigris comme de vieux chevaux fourbus, qui se plaignent du froid en hiver et pestent contre la chaleur estivale. Pourtant, aujourd'hui, c'est moi et moi seul qui suis à même de compter les points de vie qu'il vous reste sur votre carte vermeille périmée.

Je n'ai pas peur de vous et c'est pour cette raison que ma Haine n'est pas cruelle. Elle est juste, méritée. Vous pouvez vous vanter de votre force. Il était facile d'écarteler mes ossements lorsque je n'osais même pas bouger devant votre grandeur.

Mais maintenant, si vous vous sentez fiers parce que les peupliers se courbent lors de votre passage, pensez bien que c'est ma Haine, celle dont vous êtes les géniteurs, qui fait s'écouler les larmes des saules.

Mais alors que les arbres, du chêne royal au plus simple buisson, seront épargnés, vous passerez tous, sans exception, entre les dents broyeuses de l'étau de ma vengeance.

Et ne commencez pas à pleurer, les strophes que vous avez déjà entendues n'étaient que de pauvres frémissements chuchotés. Et l'on risque de vous prendre pour des déchets toxiques bons à jeter si vous vous tenez toujours ainsi, vautrés au milieu des ordures.

23/07/93 - 23/09/93

j'eu deux enfants, il y a bien des années; et ces jumeaux je les ai eus seul. Seul, car la femme que j'avais engrossée est morte avant même que l'un des deux embryons ne soit expulsé de sa matrice.

De toute façon, cette femme ne désirait nullement être mère. Alors que... (ne soyez pas surpris par ce vers de mon chant, bientôt viendra le moment où vous en saisirez l'entière signification)... cette double naissance était non seulement mon désir mais également et surtout mon besoin.

J'avais eu envie de cette tendre descendance avec une telle force, une telle intensité, avec autant sinon plus d'expectative que ne peut en avoir un nomade à la fin de sa traversée de plaines désertiques lorsque surgit le mirage flou de l'oasis, mon envie était d'une telle amplitude, que les barrières contraceptives qu'avait érigées mon "étalon femelle" n'y ont pu résister.

Ainsi lorsque mon fils et ma fille sont nés, la pauvre n'a pas pu survivre aux trop longues heures de l'accouchement. Je n'ai pas versé une larme, il y avait déjà bien longtemps que de mon regard vert ne s'échappait plus d'autre fluide que la chaux vive et l'acide. Et j'étais bien trop occupé à contempler ma descendance tant espérée et attendue, pour seulement essayer de feindre la souffrance et la compassion pour cette femme. Elle ne représentait rien pour moi sinon l'unique moyen indispensable pour donner vie à ces êtres de mon sang.

Pourtant les jumeaux ont rejoins leur mère précipitamment décédée dans le champ de chrysanthèmes où elle s'endort aujourd'hui avant de rêver éternellement au cauchemar de cet enfantement.

Et la mort de mon fils et de ma fille ne m'a causé nul chagrin. Au contraire, leur décès es ma raison de vivre encore. Oui, c'est bien grâce à leur disparition qu'aujourd'hui je peux vous chanter leur triste existence et tous les cuivres de ma chanson vont maintenant résonner pour vous narrer leur tragique fin.

23/07/93 - 23/09/93

La naissance des jumeaux fut un accident. Je n'attendais point de fille, seul le garçon m'importait. Pourtant je la laissai vivre, non pas par clémence (vous savez que mon jugement ne souffre pas de tels gracieux cadeaux). Mais si je ne la tuai point dès sa naissance, c'est que j'avais déjà écrit sur ma partition, les notes qui composeraient son avenir. Étant de sexe féminin, elle pourrait quand le temps serait venu, être elle-même la génitrice de ma prochaine descendance.

Mais lorsque mes deux enfants eurent atteint l'âge qui n'est plus celui de l'adolescence mais qui n'est pas pour autant celui de la maturité, un bien mauvais bémol vint mettre un frein à ma symphonie. La fillette était stérile, aucun embryon ne jaillirait jamais de sa matrice.

Mon acte fut ainsi légitime : ne m'étant plus d'aucune utilité, il était grand temps que je me débarrasse de la fille et que j'emploie le garçon à ce pour quoi il avait été destiné dès sa procréation.

Il ne me fut pas bien difficile de me rendre maître de mon fils, physiquement s'entend car j'étais déjà, depuis sa naissance d'orphelin, le chef d'orchestre de son âme. Et cette nuit de sacrifice, je parvins à le faire s'évanouir, alors que sa soeur gémissait depuis la cave où je l'avais enchaînée à un tuyau de canalisation. Je perçai ensuite dans sa carotide un trou qui n'était pourtant pas énorme, puisque je l'avais creusé avec la seule aide de mes incisives. Cependant mes vendanges furent princières puisque je recueillis plus de cinq litres de sang que je fis alors bouillir.

Ma fille fut ébouillantée par ce liquide qui s'écoula sur son corps. Mais son frère pouvait encore échapper à la mort. Je le conduisis à l'hôpital le plus proche où les médecins prescrivirent une immédiate et urgente transfusion sanguine. Étant son père, je fus d'office désigné comme donateur.

Mais il fallut me prélever tant de magma sanguin pour faire revivre le garçon, que mon corps donna tous les globules qu'il contenait avant de s'éteindre avec la pâleur de la pure lumière du soleil. Non ! Je ne suis pas mort, car ce n'est pas seulement mon sang qui fut transfusé, mais bien mon Être tout entier.

Ceci était le refrain de ma chanson car il se répète inlassablement depuis plus de trois millénaires.

23/07/93 - 23/09/93

Il vous faudra maintenant tendre encore plus vos oreilles. Le persiflement de mes vers vous a déjà rendus à moitié sourds. Ne sentez-vous pas que tout ce qui vous entoure a d'ores et déjà disparu ? Rien n'atteint plus vos sens, rien d'autre que la mélodie emphatique de ma chanson.

Déjà je suis parvenu à vous écorcher si agilement que vous ne voyez aucune goutte sanguine couler de votre corps. Pourtant j'ai réussi à enlever votre peau, je vous ai si bien épluchés que mes mots maintenant butinent directement votre chair à vif.

Maintenant que vous connaissez mieux la grandeur de ma puissance et l'étendue de mes désirs vengeurs. Vous savez que l'intensité des mots qui sortent de mon intelligence est capable de réduire à néant les poètes qui se croyaient invincibles. Vous n'êtes pas sans savoir que même l'Amour, que vous pensiez inattaquable, a été vaincu par la force de mes célestes pouvoirs. Vous ne doutez plus que je suis et serai toujours incapable de pardonner, puisque je n'hésite pas à utiliser mes propres enfants pour perpétuer mon combat infatigable et éternel.

Que vous reste-t-il à espérer ? Bientôt les foudres de ma rage feront tomber le râle de mon chant jusque dans vos putrides entrailles. Et dès lors mon génocide et votre si peu précieuse vie ne feront plus qu'un. La raison de votre existence deviendra l'origine de votre meurtre. Les nuages seront entraînés dans une chute et viendront s'écraser sur vos crânes lessivés.

Que pouvez-vous donc bien espérer ? Votre condamnation est déjà prononcée. Quel espoir peut-il vous rester ? Chacune de mes strophes met plus encore en évidence que votre avenir devient de plus en plus ponctuel.

Et votre espérance ne peut désormais plus chercher à atteindre autre chose que ce point. Sera-t-il votre mort, délivrante et salvatrice ? Ou représentera-t-il l'apogée de ma Haine ? Le but du combat qui nous oppose ? L'apocalypse meurtrière du final de mon chant ? Ne soyez pas trop pressés de le savoir. La Fin viendra bien assez tôt.

23/07/93 - 23/09/93

Ne sentez-vous pas autour de vous, l'atmosphère se réchauffer anormalement, devenir bouillante et de plus en plus pesante ? Ne vous semble-t-il pas avoir de moins en moins de facilités pour supporter sur vos faibles épaules d'humain le poids croissant du Ciel ?

Quel dommage que vous n'ayez pas les pouvoirs de regarder en face la lumière blanche et aveuglante du soleil ! Vous verriez que ce réchauffement incroyablement lourd n'est pas une illusion. Car Je me trouve derrière cette boule de feu; et Je la pousse de Mes seuls bras vers votre planète.

Il vous est maintenant devenu insupportable de respirer. L'air que vous inspirez et consommez est si chaud que vos poumons commencent à se consumer. Vous étouffez comme la flamme d'une bougie que l'on prive d'oxygène. Déjà les cadavres calcinés s'amoncellent dans l'aridité des déserts. Et ce ne sont pas de simples macchabées, morts de soif ou d'insolation; non ! ce ne sont plus que les cendres de viande carbonisée qu'on aurait exterminée en la cuisant dans un gigantesque four crématoire.

Vos habits ne vous servent plus à rien. Ils ne font qu'accroître la chaleur ambiante qui déjà seule est tant oppressante. Vous les enlevez et votre peau noircit anormalement. Seuls les peuples des régions glacières des pôles n'offrent pas leurs corps nus à Mes yeux qui commencent à se réjouir de ce spectacle cataclysmique.

Les océans ne sont que de vulgaires flaques. La Terre entière est asséchée. Dieu, votre Dieu Suprême et Miséricordieux, doit se souvenir avec nostalgie du temps où il pouvait déchaîner les eaux pour ensevelir la planète sous Son déluge.

Les volcans se sont réveillés à Mon appel et ils accouchent maintenant des scories les plus bouillonnantes qu'ils n'ont jamais vomies de leur ventre magmatique. Mais leur lave n'est pas minérale, pas même faite de feu, elle s'écoule, emportant tout dans son flot composé de sang et d'acide.

Le désastre est total. Et croyez bien que si Je vous ai accordé la grâce et la permission d'y survivre, c'est uniquement pour que entendiez Mon chant jusqu'à sa fin et que toutes les cartouches que crachent Mes notes vous atteignent en plein coeur.

23/07/93 - 23/09/93

Le temps est venu maintenant de revenir en arrière, de relire une nouvelle fois tout ce que votre ouïe a enduré, d'entendre de nouveau Mon chant avant d'en écouter l'apothéose apocalyptique. Et lorsque vous l'aurez entendu six fois et seulement à partir de cet instant, vous pourrez en envisager la suite.

Vous avez eu tort si vous n'avez pas suivi à la lettre Mes dernières instructions. En relisant Mon chant depuis sa genèse, vous auriez pu y découvrir dans ses parenthèses la révélation qui est l'objet de la présente strophe. La surprise aurait été moins grande et votre intuition vous aurait préparés, de telle sorte que vous ne vous seriez pas moqués en riant lorsque Je vous aurais révélé Mon nom. Car votre rire moqueur, cette fois-ci vous sera fatal. Et ne croyez pas que votre mort empêchera la tragique agonie que Je vous ai toujours promise. Non ! car l'Éternité aura désormais l'emprise de vos souffrances torturées.

Oui, il est temps maintenant de connaître Mon identité. Vous êtes-vous seulement aperçus que jamais jusqu'ici Je ne l'avais prononcée ? Cette lacune n'est pas un oubli et Je viens Moi-même de contempler Mon visage dans le reflet miroitant de l'océan en flamme.

Qui donc aurait pu, sans l'ombre du fantôme d'un seul remords, réduire à néant la vie des poètes, des amoureux, de Ses propres enfants pour arriver finalement à tuer plus de la moitié de l'espèce humaine en soufflant de Sa sarbacane de génocide des flèches de braises encore brûlantes ?

Qui Se serait proclamé aussi explicitement, l'ennemi impitoyable et aveugle des hommes et de leur dieu ?

Qui, d'un rire satanique, aurait chanté ainsi ses infernaux desseins en annihilant diaboliquement vos pauvres destins démoniaques ?

Je suis Celui-là. Je suis Celui à qui l'on trouve autant d'appellation qu'en possède dieu, car on a peur qu'en prononçant Son véritable nom, Il n'apparaisse aussitôt pour plonger celui qui L'a appelé dans la damnation éternelle.

Je suis Satan, Méphistophélès, le Prince de l'Enfer, l'Ange Déchu, l'Esprit Malin, Lucifer, le Roi des Ténèbres ou le Suprême Démon : je suis le Diable.

23/07/93 - 23/09/93

Et si l'on M'appelle l'Ange Déchu,
C'est qu'à propos de la Mort, J'en sais plus
Qu'aucune âme ne peut imaginer,
Quand même elle serait la plus douée.

Entendez-vous le chant des Séraphins
Lorsqu'il viennent vous chercher ici-bas
Et vous mènent en vous tenant la main
Au lieu où la lumière s'épuisa ?

Écoutez les trompettes angéliques :
Je suis Celui qui créa la chanson
Et Celui qui orchestre la musique,
Écoutez, écoutez bien Ma leçon !

Oui, jadis Je fus Ange Moi aussi,
Mais Je fus moins docile que Mes frères
Qui n'obéissaient à dieu que pour lui plaire,
Pauvres agneaux idiots mais si gentils !

Oui, J'ai eu l'intelligence et l'esprit
Sans hésitation de Me rebeller
Contre les divines autorités :
Frondeur, on Me chassa du paradis.

Et l'on Me confisque Mon auréole,
Et l'on voila injustement Mes ailes,
Car ayant trahi la sainte parole
Je risquais la damnation éternelle.

Depuis, Je Me traîne au fond des volcans,
Me cachant sous des murailles de feu,
Et Je Me terre au fond des océans,
Changeant en rouge flamboyant leur bleu.

Ma vengeance eût bien le temps de mûrir,
Vous en savez déjà les conséquences :
Tous, vous êtes condamnés à mourir,
Telle est Mon impitoyable sentence.

Mon jugement ne s'arrêtera pas
À la destruction de la race humaine,
Le créateur qui l'enfanta sera
Lui aussi anéanti par Ma Haine.

Qu'il vienne, s'il ose enfin se montrer,
Croiser enfin le fer de Mon épée,
Que les anges Me conduisent à lui
Et Mon prochain meurtre sera sa vie.

23/07/93 - 23/09/93

Votre dieu aurait tort de croire que ses messagers, ses agneaux dociles, ses anges sont dévoués à sa seule cause, incapables de le trahir et incorruptibles. J'ai été ange Moi aussi et Je connais les facultés et les défauts de ces stupides moutons. Aussi, malgré leur bonté et leur pureté originelles, ce sont bien les messagers de dieu qui pourront Me conduire vers leur maître afin que Je mène contre lui Mon ultime combat.

Je finis à peine cette pensée que déjà l'un d'entre eux vient se poser à mes côtés : "Celui qui voit Tout, qui entend Tout, celui qui sait et sent Tout, le Tout Puissant m'envoie ici te porter Son message : tu dois immédiatement arrêter tes agissements qui n'ont pour objet que de détruire ce qu'il a brillamment construit. Tu dois te ranger dans le Bien et quitter le Mal. Sinon tu périras dans les propres flammes de ta fournaise infernale.

- Comment ?! Aurais-tu oublié que tout comme toi Je suis un ange ? Quel est donc ce seigneur qui te plonge dans une lutte fratricide ? Qui peut bien être ce dieu qui t'ordonne de tuer ton propre frère ? 11 se prétend amour, niais il voudrait ici détruire l'amour que Nous portons en Nous depuis Notre naissance, celui qui promet fidélité. dévouement et paix éternelle envers l'être qui est de Notre sang, envers Notre semblable. Pourrais-tu sacrifier Celui qui est ton reflet ? Le balayer en déchaînant les vingt-quatre vents ? Tout ça pour se soumettre à l'obéissance d'un dieu cruel autant qu'injuste ?

Ne vois-tu pas que si toi même M'avait demandé ce que tu viens de Me rapporter,
J'aurais suivi le chemin que tu M'indiquais, non pas pour respecter ta parole, mais parce que Je suis né et J'ai toujours marché sur la même route que toi Mon frère. Certes J'ai pris certaines fois quelques détours, mais c'était pour mieux te retrouver au prochain carrefour. Or ce que tu viens de M'ordonner n'est pas issu de tes propres souhaits mais de la volonté d'un dieu mégalomane, qui n'est obsédé que par l'idée mensongère qu'il Nous est supérieur.

Je te ferais une proposition si Je ne savais pas que tu penserais à la même finalité au moment même où Je te l'exposerais : rassemblons-Nous Mon Frère, et appelons à Nos côtés tous ceux de Notre famille unie, puis dirigeons Notre armée angélique vers la demeure du dieu dictateur. Et montrons lui que Notre amour des Nôtres ne s'agenouillera jamais devant sa tyrannie !"

Et Ma flûte enchanteresse Se laissa porter par l'essaim séraphique selon Sa volonté...

23/07/93 - 23/09/93

... Avez-vous seulement déjà vu un ange passer à l'horizon ? Ici Nous sommes des millions et des centaines de millions à Nous envoler dans le ciel. On pourrait croire que toutes les étoiles de la galaxie se sont rassemblées et décollent de la Terre laissant derrière elles une longue traînée étincelante. Aucun spectacle ne fut jamais plus beau et majestueux que Notre long voyage vers l'Éden.

Arrivés enfin devant le portail céleste, les anges qui s'étaient crus mes compagnons de vol se heurtèrent à une immense muraille de surprise. Là attendaient Mes fidèles guerriers. Tous les démons étaient remontés de l'Enfer pour se joindre à toutes les maléfiques sorcières de l'Univers comme au plus beaux jours du Sabbat.

Vous qui maintenant connaissez l'atrocité des luttes dans lesquelles j'ai bataillé, avez-vous seulement idée de ce que peut être le sanguinaire combat des forces du Mal contre les anges du bien ?

L'affrontement entre de telles puissances fut grandiose. Les efforts des deux armées ne parvinrent au commencement qu'à s'annihiler mutuellement. On ne combat pas des forces célestes avec les mêmes armes que celles des guerres terrestres. Mes démons déchaînaient éclairs, foudres, tempêtes et ouragans que les anges paraient de leurs boucliers d'arc-en-ciel. Aucun des guerriers immortels ne parvenaient jamais à affaiblir l'armée adversaire car aucune mort ne venait amoindrir ses rangs. Chaque ange foudroyé et désintégré par un tonnerre hurlant sa farouche violence redescendait ressuscité sur un rai de soleil.

Cependant les anges du bien n'avaient aucun chef pour coordonner leurs tactiques belliqueuses. Alors que les Esprits Malins pouvaient déchaîner leurs instincts guerroyeurs soutenus par Mes ordres. Ainsi la défaite angélique fut engendrée par Mes commandements.

Quelle faculté donne à l'ange son immortalité ? Quel pouvoir salvateur possède-t-il sinon celui de vaincre avec légèreté, avec les gracieuses plumes de son corps ailé la pesante attraction du temps ? Selon Ma volonté, les démons fusillèrent alors leurs ennemis avec des éclairs non pas chargés d'électricité mais de pesanteur. Dès lors, les séraphins appesantis tombèrent lourdement sur la Terre, perdant alors toute perception de l'éternité et de l'infini et devant se plier sous le fardeau pesamment humain de la temporalité contraignante.

23/07/93 - 23/09/93

L'armée des anges est vaincue, anéantie, humanisée. Pourtant le mégalomane
profane et blasphémateur ne se présente toujours pas. Comment puis-Je porter Mon
dernier combat, l'ultime, celui dont la victoire ensanglantée dressera sur l'Univers le triomphe de Ma Haine ? Où est le dieu qui obscurcit Mon ombre ? J'aurais besoin de sentir sa lumière envahir Mon corps avant que Ma vengeance ne brise la clarté de son soleil.

Cependant Dieu est présent, Je le sais, Je Le sens, Je respire Son oxygène, Je m'emplis de Ses effluves. Le spectre divin est aux portes de Ma perception, mais nulle âme nulle présence ne se dresse devant Mon regard vert. Je suis seul, Je côtoie Dieu dont l'absence est omniprésente, Je Le touche en plongeant Mes mains dans un reflet vide, mais mes doigts errent dans l'espace infini sans jamais rencontrer aucun obstacle corpusculaire.

J'entends un écho, une voix, une onde qui Me signale Sa présence : "Je suis là !" Mais le cri se perd, rebondit, se répercute et se réfracte contre les murs absents du désert où Je me trouve. Pourtant cette voix existe, Je l'entends, Je l'écoute et la reconnais...

Et le miroir transparent du vide reflète un visage, une image. Quelqu'un se trouve ici et tient compagnie à Ma solitude.

Et je sens Sa salive au goût mielleux du sang descendre le long de Mon palais. Je respire, Je touche, J'entends, Je vois et Je goûte Dieu, Sa saveur, Son image, Sa voix, Sa peau et Son parfum. Dieu est ici, dans ce désert et pourtant Je suis seul. Je ne dialogue avec personne d'autre que Mon propre esprit, Je ne suis en tête à tête qu'avec Moi même. Je suis ici.

Cette voix est Ma voix, cette Odeur est celle de Ma saveur, ce corps que Je touche est le Mien et ce reflet dans le miroir M'appartient. Le Dieu qui frappe Mes yeux, Mes pupilles gustatives, a le goût de Mon âme.

Je suis... Je suis ce Dieu... Oui Je suis Dieu !

Mes luttes, Ma vengeance, Ma Haine M'ont conduit auprès de Dieu, M'ont accompagnée vers Moi même, vers le secret des secrets. Et Je n'ai plus rien à combattre ni personne à haïr. Je suis cette Haine, Je suis la Plaie, Je suis le Poète, l'Amoureux, l'Enfant, la Chaleur, l'Ange... Je suis Dieu.

23/07/93 - 23/09/93

Postface

Quelques remarques sur ce long, ce très long poème.

Des remarques sur sa mélodie tout d'abord. Aucune note, aucun accent, aucune pause n'a été laissé au hasard dans ce chant. Son emphase, ses expressions récurrentes, et même son titre sont tous porteurs de sens, jusqu'aux Majuscules et aux points virgules. Je veux dire ainsi que chaque mot, ou mieux chaque signe, a été choisi minutieusement afin qu'il porte en lui, intrinsèquement, la finalité de ma chanson.

Mais attention : la valeur de ces signes est variante. Elle diffère bien sûr d'un lecteur à l'autre. Elle ne sera pas la même pour le lecteur qu'elle ne l'a été pour l'auteur. Et plus encore elle variera suivant le passage musical où elle intervient. Pour cette raison, il est souhaitable de lire et de relire le poème afin de tenter de découvrir le sens, la signification et la raison d'être de chaque mot, de chaque lettre, de chaque virgule...

Et j'en arrive tout naturellement au sens, au fond de ce chant. Rien de ce que vous avez pu lire n'a été inventé. Dans cette suite de mégalomanies, j'ai véritablement commis tous les crimes qui y sont décrits. J'ai tué les Poètes, les Amoureux, mes Enfants et les Anges. Certain d'être le Diable, j'ai vu Dieu dans mon miroir. Certes ce fut sous des formes déguisées : la Vie est loin d'être un Chant-amour. Mais tout ici s'est réellement déroulé, de la Plaie jusqu'au zénith de la mégalomanie : Dieu.

Car je porte en moi les cicatrices des écorchés qui les font ressembler aux feuilles d'un arbre : la chair à vif s'offre nue à tous les vents qui élèvent les feuilles vers le Ciel ou les font choir vers la Chute. Ainsi je vous encourage de nouveau à relire le poème en essayant de trouver s'il n'y aurait pas une strophe qui raconte votre véritable histoire.

23/07/93 - 23/09/93

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